samedi 12 novembre 2011

Les semblables de Paul Eluard


Je change d'idée
A suivre les brises de fil fin
A suivre tes jambes tes mains tes yeux
La robe habile qui t'invente
Pour que tu la remplaces


Je change d'idée
Tu passes dans la rue
Dans un ouragan de soleil
Je te rencontre je m'arrête
Je suis jeune tu t'en souviens


Je change d'idée
Ta bouche est absente
Je ne te parle plus tu dors
Il y a des feux de terreur dans ta nuit
Un champ de larmes claires dans tes rêves
Nous ne sommes pas tristes ensemble
Je t'oublie


Je change d'idée
Tu ne peux pas dormir
Sur des échelles nonchalantes
Interminablement
Entre la fleur et le fruit
Dans l'espace
Entre la fleur et le fruit
Tu cherches le sommeil
La première gelée blanche
Et tu m'oublies
 

Je change d'idée
Tu ris tu joues tu es vivante
Et curieuse un désert se peuplerait pour toi
Et j'ai confiance
 

Fini
Je n'ai jamais pu t'oublier
Nous ne nous quitterons jamais
Il faut donner à la sécurité
La neige paysanne la meule à ruines
Une mort convenable
Le jour en perte noie les étoiles
A la pointe d'un seul regard


De la même contemplation
Il faut brûler le sphinx qui nous ressemble
Et ses yeux de saisons
Et ses mousses de solitude.

Paul Eluard

dimanche 30 octobre 2011

Un soir de ciné


Fin février 2011. Je t’avais salué d’un signe de main avant de sortir du wagon dans lequel tu étais resté. Nous venions d’assister ensemble à la projection du film « le discours d’un roi ». Tu manœuvrais mes émotions et j’étais amoureuse de ce jeu, lorsque tu t’offrais et te dérobais, lorsque tu te refusais et me laissais pantelante et à ta merci. Je me dirigeais vers la ligne 14, parce que je ne pouvais pas rester avec toi, nous habitions trop loin. Je recherchais auprès de ma mémoire un réconfort dans le souvenir de mes amis, car c’était bien un ami qui avait pu aider le roi du film à se sauver lui-même - je me rappelais confusément que je pouvais toujours m’en sortir. Cette fois là, je crois que je n’ai pas trouvé de consolation ; tu étais celui que j’avais aimé et, je ne comprenais pas pourquoi, celui qui avais refusé mon offrande. Quel amour ancien aurait pu me rassurer sur ma féminité et ma possibilité d’être aimée ? Je me rappelle encore de cette longue attente entre deux passages de métro, de l’arrivée indifférente de l’engin, et de l’éclairage blafard jeté sur les sièges bleus à l’intérieur du wagon. Je m’étais assise sur l'un de ces sièges et j’avais attendu le prochain arrêt. Je m’étais levée, et j’avais de nouveau attendu le prochain métro. Je ne regardais pas l’heure, et ces attentes se succédaient, et je n’avais qu’à marcher, m’asseoir, me lever, et repartir. Et je pensais à toi pendant toutes ces répétitions, je pensais que tu avais passé un bon moment avec ce film, et que tu avais déjà oublié mon malaise, ce long malaise sans intermittence –marcher, m’asseoir, me lever, et repartir-, toujours les mêmes gestes pour retourner chez soi, et rejoindre la nuit, et composer le code de l’immeuble, et monter les escaliers, ouvrir la porte, se préparer à dormir. Un petit tour sur facebook, juste un tour pour se rappeler de la présence constante de ses amis et se sentir moins seul. Et quelques heures plus tard, nouvelle semaine, nouveaux espoirs ; et quelques jours plus tard, nouveau week-end, nouveau film, et même souffrance pour toi.

samedi 29 octobre 2011

L'été

Août 2011. Je me revois encore à l’abri du soleil et faisant face aux routes figées de la télé de l’autoécole. J’imaginais alors les routes que tu parcourais avec tes copines, les cheveux pleins de gel, et les rires en cascade qui s'embrouillaient dans la musique de la radio. Tandis que les quarante questions se résolvaient d’elles-mêmes, j’entrevoyais vos nombreux sauts dans les villes du soleil. Une bière dans une main et une fille dans l’autre, tu savourais la vie sans moi, et moi à la fin de la séance, je rentrais sans conviction de ma journée vide et absurde. Ce sont ces jours non mémorables qui me restent depuis que tu es revenu à Paris. Ce sont ces jours vagues et tristes qui me convainquent que notre histoire ne méritait pas tant d’espoirs et de peines. Le soleil est parti, mais te revoilà de l’autre côté du téléphone, à me raconter l’amour et la passion, le tennis et le soleil, ton bonheur, avec juste un peu de moi, une petite pensée qui susurrait mon absence. C’est le pathétisme de cette pensée qui m’assure que toute cette histoire me fait moins vivre que l’intelligence de mes cours de droit et la profondeur de mes livres. Cette misérable pensée pour moi qui n’est rien à côté de la conviction nouvellement acquise qu’aimer et écrire dans son coin n’ont servi à rien.

vendredi 25 février 2011

Rester calme

J'aimerais cesser de croire qu'une multitude d'aventures m'attend pour m'inviter à vivre autre chose que ce que j'ai déjà vécu. J'aimerais cesser de croire que ma vie est si large qu'elle puisse se vivre aussi bien à Québec qu'à Phnom Penh. J'aimerais cesser de croire que je survivrais à mon temps, à mes pulsions, et à ma liberté. J'aimerais apprendre à être honnête avec calme, me poser juste devant elle, la Vérité. Ce n'est pas une nuit où l'improbable m'attend - y croire, c'est toujours espérer - car l'improbable l'est moins avec le temps ; peu de nouveauté lorsque l'esprit est empreint de clichés littéraires bêtes ; peu de voyages quand on s'exile impuissamment avec soi-même ; peu de stimulation extérieure d'ordre intellectuel lorsque l'on n'a pour seule référence son expérience étriquée. Il n'y a pas d'évolution à espérer lorsqu'on est coincé entre la peur et le désir dans un trou situé au fond d'un temps arrêté.
Pourquoi ne pas cesser d'espérer debout pour s'asseoir ? Ce serait se libérer de toutes ces pressions qui exigent de soi la disponibilité, la réceptivité, et l'initiative pour toute nouvelle opportunité de vivre. Simplement se permettre de non-vivre ces opportunités sans s'interroger sur la présence d'un regret importun.

Pour cet avenir, j'aimerais être définitivement lucide et cesser de croire que je vivrais moi aussi une brillante réussite carriériste, un éternel voyage, un grand amour ; qu'une famille m'est acquise de droit, que le dévouement de mes amis est grandiose, que je serai là pour tout évènement qui exigera de moi un héroïsme latent. J'aimerais cesser de me croire libre de toute entrave matérielle, spirituelle, et affective. J'aimerais abandonner tous ces espoirs vains qui m'agitent tous les jours sans rien me faire vivre, parce que tout ce qui est à vivre vient trop lentement pour les années qui passent si vite - plus que soixante années à vivre - toutes ces promesses qui ne se réaliseront jamais, alors pourquoi continuer à espérer, pourquoi continuer à me faire vivre par l'espoir d'être suffisamment vaste ? Je ne dois plus croire que mon être est assez vaste pour rencontrer l'Aventure mensongère et recueillir les richesses de toc promises par la vie, dues par la vie, tant et si désespérément attendues d'elle.