samedi 9 novembre 2013

Une nuit

Un ange m'a parlé de mes textes. Il était trop beau pour les comprendre, alors je l'ai pris par la main, et nous avons quitté la faculté pour la rue.
Dans la rue, il faisait déjà nuit, et la lumière des néons allongeait les ombres au sol jusqu'à ce qu'elles prennent des allures de cauchemar. Nous avons marché jusqu'au métro ; c'était un trop court trajet pour appeler ça un voyage, pourtant il y avait dans nos silences assez d'attentes pour nous penser à l'aéroport. Des étrangers passaient en sens inverse sans nous remarquer ; nous étions dans un pays de transition et en zone inconnue.
Je lui ai demandé où il allait.
Il m'a invité chez lui, ligne 1.
J'ai pensé à mes cours demain à huit heures, à mes devoirs inachevés, et à mes travaux dirigés. Il m'a proposé d'écrire chez lui, et lui me lirait, il me lirait, pour que je sache à qui appartiennent ces yeux inconnus qui frôlent mes mots chaque soir encore, ces mots qui ne parlent jamais d'amour. Je lui ai dit qu'il y aurait eu des gens qui ne seraient jamais tombés amoureux sans avoir entendu parler d'amour. Nous étions déjà dans un wagon du métro, et les gens nous écoutaient comme dans un film. Ils n'y avaient peut-être jamais pensé. Les anges ne haussent pas les épaules à cause de leurs ailes. Nous sommes descendus à Châtelet, et nous sommes retournés dans la rue. Elle est très courte, parce que je me suis retrouvée très vite chez lui.

samedi 12 novembre 2011

Les semblables de Paul Eluard


Je change d'idée
A suivre les brises de fil fin
A suivre tes jambes tes mains tes yeux
La robe habile qui t'invente
Pour que tu la remplaces


Je change d'idée
Tu passes dans la rue
Dans un ouragan de soleil
Je te rencontre je m'arrête
Je suis jeune tu t'en souviens


Je change d'idée
Ta bouche est absente
Je ne te parle plus tu dors
Il y a des feux de terreur dans ta nuit
Un champ de larmes claires dans tes rêves
Nous ne sommes pas tristes ensemble
Je t'oublie


Je change d'idée
Tu ne peux pas dormir
Sur des échelles nonchalantes
Interminablement
Entre la fleur et le fruit
Dans l'espace
Entre la fleur et le fruit
Tu cherches le sommeil
La première gelée blanche
Et tu m'oublies
 

Je change d'idée
Tu ris tu joues tu es vivante
Et curieuse un désert se peuplerait pour toi
Et j'ai confiance
 

Fini
Je n'ai jamais pu t'oublier
Nous ne nous quitterons jamais
Il faut donner à la sécurité
La neige paysanne la meule à ruines
Une mort convenable
Le jour en perte noie les étoiles
A la pointe d'un seul regard


De la même contemplation
Il faut brûler le sphinx qui nous ressemble
Et ses yeux de saisons
Et ses mousses de solitude.

Paul Eluard

dimanche 30 octobre 2011

Un soir de ciné


Fin février 2011. Je t’avais salué d’un signe de main avant de sortir du wagon dans lequel tu étais resté. Nous venions d’assister ensemble à la projection du film « le discours d’un roi ». Tu manœuvrais mes émotions et j’étais amoureuse de ce jeu, lorsque tu t’offrais et te dérobais, lorsque tu te refusais et me laissais pantelante et à ta merci. Je me dirigeais vers la ligne 14, parce que je ne pouvais pas rester avec toi, nous habitions trop loin. Je recherchais auprès de ma mémoire un réconfort dans le souvenir de mes amis, car c’était bien un ami qui avait pu aider le roi du film à se sauver lui-même - je me rappelais confusément que je pouvais toujours m’en sortir. Cette fois là, je crois que je n’ai pas trouvé de consolation ; tu étais celui que j’avais aimé et, je ne comprenais pas pourquoi, celui qui avais refusé mon offrande. Quel amour ancien aurait pu me rassurer sur ma féminité et ma possibilité d’être aimée ? Je me rappelle encore de cette longue attente entre deux passages de métro, de l’arrivée indifférente de l’engin, et de l’éclairage blafard jeté sur les sièges bleus à l’intérieur du wagon. Je m’étais assise sur l'un de ces sièges et j’avais attendu le prochain arrêt. Je m’étais levée, et j’avais de nouveau attendu le prochain métro. Je ne regardais pas l’heure, et ces attentes se succédaient, et je n’avais qu’à marcher, m’asseoir, me lever, et repartir. Et je pensais à toi pendant toutes ces répétitions, je pensais que tu avais passé un bon moment avec ce film, et que tu avais déjà oublié mon malaise, ce long malaise sans intermittence –marcher, m’asseoir, me lever, et repartir-, toujours les mêmes gestes pour retourner chez soi, et rejoindre la nuit, et composer le code de l’immeuble, et monter les escaliers, ouvrir la porte, se préparer à dormir. Un petit tour sur facebook, juste un tour pour se rappeler de la présence constante de ses amis et se sentir moins seul. Et quelques heures plus tard, nouvelle semaine, nouveaux espoirs ; et quelques jours plus tard, nouveau week-end, nouveau film, et même souffrance pour toi.

samedi 29 octobre 2011

L'été

Août 2011. Je me revois encore à l’abri du soleil et faisant face aux routes figées de la télé de l’autoécole. J’imaginais alors les routes que tu parcourais avec tes copines, les cheveux pleins de gel, et les rires en cascade qui s'embrouillaient dans la musique de la radio. Tandis que les quarante questions se résolvaient d’elles-mêmes, j’entrevoyais vos nombreux sauts dans les villes du soleil. Une bière dans une main et une fille dans l’autre, tu savourais la vie sans moi, et moi à la fin de la séance, je rentrais sans conviction de ma journée vide et absurde. Ce sont ces jours non mémorables qui me restent depuis que tu es revenu à Paris. Ce sont ces jours vagues et tristes qui me convainquent que notre histoire ne méritait pas tant d’espoirs et de peines. Le soleil est parti, mais te revoilà de l’autre côté du téléphone, à me raconter l’amour et la passion, le tennis et le soleil, ton bonheur, avec juste un peu de moi, une petite pensée qui susurrait mon absence. C’est le pathétisme de cette pensée qui m’assure que toute cette histoire me fait moins vivre que l’intelligence de mes cours de droit et la profondeur de mes livres. Cette misérable pensée pour moi qui n’est rien à côté de la conviction nouvellement acquise qu’aimer et écrire dans son coin n’ont servi à rien.

vendredi 25 février 2011

Rester calme

J'aimerais cesser de croire qu'une multitude d'aventures m'attend pour m'inviter à vivre autre chose que ce que j'ai déjà vécu. J'aimerais cesser de croire que ma vie est si large qu'elle puisse se vivre aussi bien à Québec qu'à Phnom Penh. J'aimerais cesser de croire que je survivrais à mon temps, à mes pulsions, et à ma liberté. J'aimerais apprendre à être honnête avec calme, me poser juste devant elle, la Vérité. Ce n'est pas une nuit où l'improbable m'attend - y croire, c'est toujours espérer - car l'improbable l'est moins avec le temps ; peu de nouveauté lorsque l'esprit est empreint de clichés littéraires bêtes ; peu de voyages quand on s'exile impuissamment avec soi-même ; peu de stimulation extérieure d'ordre intellectuel lorsque l'on n'a pour seule référence son expérience étriquée. Il n'y a pas d'évolution à espérer lorsqu'on est coincé entre la peur et le désir dans un trou situé au fond d'un temps arrêté.
Pourquoi ne pas cesser d'espérer debout pour s'asseoir ? Ce serait se libérer de toutes ces pressions qui exigent de soi la disponibilité, la réceptivité, et l'initiative pour toute nouvelle opportunité de vivre. Simplement se permettre de non-vivre ces opportunités sans s'interroger sur la présence d'un regret importun.

Pour cet avenir, j'aimerais être définitivement lucide et cesser de croire que je vivrais moi aussi une brillante réussite carriériste, un éternel voyage, un grand amour ; qu'une famille m'est acquise de droit, que le dévouement de mes amis est grandiose, que je serai là pour tout évènement qui exigera de moi un héroïsme latent. J'aimerais cesser de me croire libre de toute entrave matérielle, spirituelle, et affective. J'aimerais abandonner tous ces espoirs vains qui m'agitent tous les jours sans rien me faire vivre, parce que tout ce qui est à vivre vient trop lentement pour les années qui passent si vite - plus que soixante années à vivre - toutes ces promesses qui ne se réaliseront jamais, alors pourquoi continuer à espérer, pourquoi continuer à me faire vivre par l'espoir d'être suffisamment vaste ? Je ne dois plus croire que mon être est assez vaste pour rencontrer l'Aventure mensongère et recueillir les richesses de toc promises par la vie, dues par la vie, tant et si désespérément attendues d'elle.

vendredi 14 mai 2010

Il n'y a pas de lieu, il n'y a plus de temps

Et ce sera des jours, et des soirées, et des nuits, ou toutes ces nuits comme celle-là, avec des questions comme celle-ci, mais pourquoi ne nous sommes-nous jamais rencontrés, pourquoi les mots se cherchent et ne se trouvent pas, les instants passent et ne se vivent pas, et toi que je n’aurais jamais en face de moi, est-ce que je pourrais t’atteindre. C'est à peine triste, et plutôt navrant, mais il n’y a rien à pleurer, et surtout pas de larmes qui me viennent, de ne t’avoir jamais rencontré, toi que je ne sais ; c’est courir la facilité, s'étendre dans le pathétisme que de raconter ces regrets qui donnent un succédané de rêve à une existence ; c'est comme une vie manquée ou un rêve confus qui se perdrait entre deux éclipses du sommeil. Il aurait fallu se rencontrer ailleurs que dans cette collectivité où le jugement habille la personne, dans cette large allée où les arbres se mêlent aux ombres qui passent, ou dans cette toute petite rue grise comme dans nos têtes. Peut-être pas là-bas où ton indolence se prélasse sur le sable, pas avec toutes ces filles et cette légèreté qui se dilue dans l’été. Non plus que dans ce bar, avec tes amis, et leurs boutades, et ton cynisme. De quoi d’autre aurions-nous parlé si tu t’étais assis à côté de moi dans l’amphithéâtre que d’un sujet aussi clinique que les examens ; peut-être au conservatoire ou au théâtre, si seulement je jouais d’un instrument, mais je n’ai même pas un rôle à moi ; la bibliothèque, le cinéma, le musée, où il n’existe que des chimères et rien d'aussi réel que toi qui pourrais l'être; les soirées excitantes en attente de la vie, celle des autres filles qui dansent et qui t’embrassent. Où aller et que faire de son temps, s’il n’y a pas et n’y aura jamais ni de lieu, ni de temps où te rencontrer. S’il n’y a personne, ni rien, ni que dalle que des mots fatigués qui s’emballent et qui se traînent jusqu’au silence

dimanche 2 mai 2010

La peur

Tu étais là pour moi.
Ce n’est pas que j’étais seule, mais tu avais pensé à moi, tu m’avais écrit, invité, et ouvert la porte. Et moi, j’avais soigneusement préparé mon retard pour ne pas que tu crois que je pensais aussi à toi. Mais j’avais pensé à toi ; je t’avais trouvé un cadeau qui te correspondait, je m’étais achetée une jolie robe, et je nous avais apporté à manger.
Je ne peux pas penser à toi sans avoir peur, alors je l’avais apportée aussi, elle était là au fond de mes yeux. Je ne t’ai pas regardé une seule fois à cette soirée ; Si, peut-être une fois, une fois seulement, et à ce moment là, tu me regardais aussi. Mais ça, je ne sais pas faire ; je ne sais pas regarder quelqu’un comme il le voudrait. J’ai vu que tu me désirais, et c’est cette peur là qui m’a fait baisser les yeux.
Peut-être conscient de cette peur, tu avais cherché à me rassurer avec tous tes amis, tous ces jeux, et toute cette joie de groupe. Tu t’étais posé en garde-fou au cas où ma timidité s’effaroucherait devant tant de compagnies joyeuses. Ma chaise était à côté de la tienne, et tu te tenais à la disposition de tout isolement. Mais je suis une fille bruyante, qui adore plus que tout le monde, et sa nouveauté, et sa diversité. Tous ces rires, cette légèreté, et cette bonhomie m’ont plu. Je t’ai laissé me regarder assis sur ta chaise pendant que je partais à la découverte de tous ces autres qui étaient tes amis. Puisqu’ils me considéraient comme ton amie, ils ont aussi cherché à gagner mon affection toute prête. Tu m’as découvert gaie, spontanée, et amicale, mais pour toi, je n’avais gardé nulle intimité. Je n’en ai pas pour les autres ; cette intimité, je la préserve lorsque je suis là, à penser à toi, loin de tout soupçon.
Quand j’ai voulu suivre une de tes amie jusqu’à chez elle, tu as proposé que nous allions tous l’accompagner. Et lorsqu’elle nous a invité chez elle, tu as accepté pour me faire plaisir. Au bout d’une heure, las, tu m’as demandé si je voulais qu'on rentre, et j’ai du me résoudre à reconnaître tes efforts et accepter.
Le groupe s’est démantelé, et à la fin, nous n’étions que trois à rester dormir chez toi. J’ai découvert ta chambre. Et j’ai compris que je ne trouverais peut-être jamais plus de garçon avec qui je partagerais autant d’amour pour les mêmes livres, les mêmes musiques, et les mêmes peintures. Mais la peur en moi s’est renforcée devant tant de ressemblances ; c’est que tu étais fait pour moi.

Heureusement, les premiers RER étaient déjà là, mais tu m’as quand même proposé, puis insisté pour que je reste dormir chez toi. Tu me laissais ton lit. Je suis quand même partie avec les autres. Une heure plus tard, je t’envoyais des textos pour te remercier de cette soirée. J’essayais d’y insérer toute la chaleur qu’il y aurait du y avoir entre nous. Mais tu ne m’as pas répondu.

Depuis, tu ne m’as jamais plus réinvitée, et moi, je continue de penser à toi dans l’intimité de ce texte. Dans ces lignes, il y a cette part de regret persistante qui a le goût de toi, et tous ces mots qui ne pourront jamais dire à quel point je t’aime.